Claude Lelièvre :
Trois heures hebdomadaires hors disciplines ? Cinquante ans après…
Pour les 50
ans des 10% de DHG qu’a tenté d’initier Joseph Fontanet
en 1973 – idée reprise en 2015 par Najat Vallaud-Belkacem – l’historien Claude Lelièvre
revient sur ces trois heures d’enseignements non disciplinaires qui ont
toujours suscité la méfiance des syndicats.
Il y a
tout juste cinquante ans, le 27 mars 1973, sous le ministère de Joseph Fontanet
et la présidence de Georges Pompidou, une circulaire aménage, pour les
établissements secondaires, une utilisation optionnelle de 10% de l’horaire
global. Dans le cadre de la campagne d’innovation actuelle menée sous la
responsabilité du Conseil national de refondation, cela ne pourrait-il avoir
une certaine actualité ?
Les
« 10% » dégagés dans les horaires du second degré devaient être
consacrés à des objectifs d’ouverture sur le monde extérieur, en particulier
dans les domaines socioculturels – d’où l’appellation de « 10%
culturels ». Il s’agissait d’assouplir l’organisation de l’enseignement et
d’encourager la pratique du travail en équipe, de décloisonner les disciplines,
et de susciter la participation directe des intéressés par la consultation des
élèves. La circulaire du 27 mars 1973 précisait qu’une large part d’autonomie
était accordée : « Il ne sera pas donné de directives pour
l’utilisation de ces 10% car, pour sauvegarder l’esprit d’une telle mesure, il
est essentiel que ces modalités d’application soient définies à l’échelon du
seul établissement ».
Le SNALC se
déclare d’emblée opposé à ces mesures, et la direction du SNES très réservée.
Selon « Le Monde » du 3 juillet 1974, « dès le départ, les
critiques ont été vives, et les détracteurs des " 10 % " n’ont
pas désarmé au cours de cette première année d’expérience. "
Discount éducationnel " , "
torpillage de l’enseignement " , " kermesse pédagogique
" , " transformation des établissements en maisons des
jeunes et de la culture " , telles sont quelques-unes des réflexions
qui ont accueilli cette innovation. Mais il semble que le concert des
oppositions se soit quelque peu atténué dans les derniers mois […]. Les
pessimistes ont eu tort. Même si les établissements qui ont tenté l’aventure,
avec courage et même, parfois, une certaine audace, sont encore une minorité,
il y a eu un foisonnement d’initiatives extrêmement diverses […] Mais les
résistances ont été très grandes. Du côté des enseignants, d’abord. On ne
change pas d’optique pédagogique du jour au lendemain, et le surcroît de
travail dû à l’organisation des 10 % en a légitimement fait réagir beaucoup,
confirmant les réserves émises dès le départ par les organisations syndicales.
Les parents d’élèves ont été souvent inquiets de voir que l’on s’écartait de la
tradition et que peut-être les résultats scolaires en souffriraient. C’est du
côté des élèves que l’enthousiasme – c’est le mot qui revient dans de nombreux
rapports d’enseignants ou de chefs d’établissement – a été le plus fort »
Au bout d’un
an, il s’avère que 30% seulement des établissements secondaires ont pratiqué
les " 10% ". La participation des lycées a
été notoirement faible, en particulier dans les terminales où l’allègement des
horaires a été souvent utilisé pour organiser des examens blancs ou des séances
supplémentaires. Si les réactions des élèves apparaissent foncièrement
favorables, il n’en est pas de même pour les professeurs. Et la politique des
" 10% " tourne court après le départ du
ministre de l’Education nationale Joseph Fontanet
suite à la fin de la présidence de Georges Pompidou.
Bis repetita en mars 2015 face à l’initiative de la ministre de
l’Education nationale Najat Vallaud-Belkacem allant dans le même sens. Les directions du SNALC
et du SNES font immédiatement savoir leurs foncières réserves même si le
dégagement envisagé par la ministre de l’Éducation nationale de trois heures
hebdomadaires disciplinaires (à l’instar des " 10% "),
ne concerne cette fois ci que les collèges (mais pas les lycées), et selon des
attendus quelque peu renouvelés comme on peut le voir dans son intervention
devant
«Nous souhaitons nous orienter
vers un enseignement plus "curriculaire",
avec des programmes moins détaillés qui offriront aux enseignants une plus
grande liberté pédagogique. Seront bien entendu indiquées les grandes
têtes de chapitre dont les enfants devront absolument avoir la maîtrise à la
fin de leur scolarité obligatoire, mais en organisant le temps de façon plus
libre. Une plus grande place sera laissée au travail en commun, au travail par
projets, à l’interdisciplinarité. La réforme des collèges donnera à cet effet
une grande autonomie aux établissements et une grande liberté pédagogique aux
équipes enseignantes, avec l’introduction d’enseignements complémentaires où
plusieurs disciplines pourront se croiser afin d’être plus parlantes pour les
élèves, de les amener à comprendre des concepts à partir d’un projet concret
sur lequel ils auront travaillé avec plusieurs enseignants ».
Comme l’a
dit Edgar Morin, « une des bases de la psychologie cognitive nous
montre qu’un savoir n’est pertinent que s’il est capable de se situer dans un
contexte et que la connaissance la plus sophistiquée, si elle est totalement
isolée, cesse d’être pertinente. La réforme que j’envisagerais n’a pas pour but
de supprimer les disciplines, au contraire, elle a pour but de les articuler,
de les relier, et de leur donner une vitalité et une fécondité » ( « Articuler les savoirs », MEN, 1998).
Mais cela
est loin d’être entendu par la plupart des professeurs de l’enseignement
secondaire très attachés à leurs disciplines spécifiques et à leurs exigences
internes. Lorsque Najat Vallaud-Belkacem
est remplacée à la tête de ministère de l’Éducation nationale par Jean-Michel Blanquer à la suite de l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de
Mais, dans
le cadre initié par le nouveau "Conseil national de refondation", les
établissements scolaires sont appelés à monter des projets innovants. Alors un
anniversaire qui pourrait être significatif et une possibilité de reprise
cinquante ans après ?
Claude
Lelièvre